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La physique de l’infiniment grand l’infiniment petit

Hommage à André Rougé

1er août 2023

Hommage à André Rougé, physicien au Laboratoire Leprince-Ringuet, décédé le mercredi 26 juillet 2023 au Puy-en-Velay.

Notre collègue et ami André Rougé est un physicien à la carrière admirable qui aura fortement marqué l’histoire du Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR). Né le 26 novembre 1940, André étudie la physique à l’École normale supérieure (Ulm) et effectue un doctorat de 3e cycle en 1964. Il rejoint ensuite le laboratoire de Louis Leprince-Ringuet à l’École polytechnique où il complète un doctorat d’État présenté à l’université Paris VI et VII en 1969. Il entre au CNRS la même année. Il est promu Maître de Recherche en 1973 puis Directeur de Recherche 1ère classe du CNRS en 1991. Devenu émérite en 2008, il prendra sa retraite définitive en 2013. Au cours de sa carrière, il s’implique aussi dans les instances du CNRS de 1995 à 2000 en tant que président de la section 03 du Comité National et de 1997 à 2001 comme membre du Conseil Scientifique. En parallèle avec ses activités de recherche, il se consacre à l’enseignement à l’École polytechnique en tant que professeur chargé de cours de 1979 à 1995, puis professeur titulaire de 1996 à 2005.

Dès son arrivée au LLR en 1964 et jusqu’en 1972, André est impliqué dans les expériences de chambres à bulles au laboratoire du CERN à Genève. Un vaste programme de développement de chambres à bulles avait été précédemment initié par Louis Leprince-Ringuet pour ce grand laboratoire international. André s’intéresse, pour son doctorat d’État, à la détermination des nombres quantiques et mécanismes de réaction des mésons étranges avec l’expérience SABRE utilisant une chambre à bulle de 81 cm. Il travaille ensuite jusqu’en 1985 environ en physique hadronique, d’abord avec le spectromètre Ω  au CERN, une facilité de nouvelle génération comprenant des chambres proportionnelles multi-fils placées dans le champ d’un aimant supraconducteur 1,8 T et un système de déclenchement pour l’enregistrement des données. Il s’y intéresse aux échanges de baryons et à la recherche d’états baryoniques exotiques. Puis ensuite avec l’expérience NA14 pour la photo-production des mésons charmés et l’étude de l’effet Compton chromodynamique. Il rejoint finalement la grande expérience ALEPH auprès du collisionneur e+e- LEP du CERN et y travaillera jusqu’à la fin de l’expérience dans les années 2000. Il y contribue fortement aux techniques de reconstruction des événements ainsi qu’aux tests de précision du Modèle Standard dans le secteur électrofaible, avec l’étude de la polarisation du lepton τ et la première mesure de l’angle de mélange électrofaible (angle dit de Weinberg). Il développe entre autres le concept de variables optimales qui permet, pour la polarisation des lepton τ, de condenser toute l’information contenue dans les données en une seule variable, quelle que soit la complexité de l’état final considéré. Reconnu par ses pairs comme un véritable « virtuose de l’étude du spin dans les désintégrations du tau », il sera, entre autres, auteur de publications d’ALEPH présentant les mesures de la polarisation des τ’s avec l’ensemble des données du LEP. Après la fin du LEP, il s’impliquera dans la prospective de physique pour un futur collisionneur linéaire (ILC) et y poursuivra des contributions originales sur l’utilisation optimale des corrélations de spin et de la polarisation des leptons τ.

André a fortement contribué à la vie scientifique et à l’enseignement à l’École polytechnique (l’X). Il était dévoué à la transmission du savoir et les étudiants appréciaient son enthousiasme pour la physique et sa grande gentillesse, avec un esprit des plus pénétrants qui se révélait inévitablement derrière un paravent de modestie et sa discrétion. Pour avoir eu la chance de bien connaître André Rougé et d’échanger fréquemment avec lui les dimanches au laboratoire, où il y appréciait le calme propice à la réflexion, je peux affirmer qu’il était un physicien d’une profondeur et d’une rigueur tout à fait exceptionnelles. Ses collègues du département de physique où il a enseigné pendant des décennies mentionnent sa très grande culture et soulignent qu’il « avait le plus grand mal à faire des erreurs ». Il a publié plusieurs ouvrages remarquablement didactiques et notamment des livres de cours qui sont encore aujourd’hui des références sur le sujet pour les élèves, dont Introduction à la physique subatomique, Introduction à la relativité, ainsi qu’une revue d’histoire de la physique pour physiciens avec Relativité restreinte, la contribution d’Henri Poincaré.

André Rougé aura durablement marqué l’histoire du Laboratoire Leprince-Ringuet ainsi que la vie scientifique et l’enseignement à l’École polytechnique. Il restera dans nos mémoires comme une personne admirable qui aura laissé une trace indélébile en physique.

Yves Sirois,

Directeur du Laboratoire Leprince-Ringuet,

École polytechnique

CNRS, IN2P3

31 juillet 2023